« Avec Au nom de la mère, Erri de Luca revisite habilement l’épisode de la nativité en l’articulant autour de la figure d’une Marie/Miriam métamorphosée, ancrée dans un contexte hébraïque et émancipée de son mythe, lui conférant ainsi une dimension nouvelle. »
Toujours à l’affût des actualités les plus récentes, le sémillant critique littéraire 2.0 que je suis s’est aujourd’hui adonné à la lecture d’un roman d’Erri de Luca, publié il y a quinze ans. Mes lecteurs les plus aguerris me rétorqueront sans nul doute que la littérature est intemporelle et que toute tentative de justification de cet article anachronique serait vaine. Ils ont raison et je les en remercie.
Il y a quelques années, le dessinateur Chester Brown, dans une réinterprétation (très) personnelle de la Bible, voulait nous convaincre que la Vierge Marie était une pute. Loin de toute ambition provocatrice de la sorte, Erri de Luca orchestre une véritable réflexion littéraire autour de la métamorphose textuelle et dialogique d’un personnage dont il est difficile d’établir l’historicité et dont la plupart des informations sont issues d’une littérature apocryphe à l’authenticité difficilement établissable.
Avec Au nom de la mère, le romancier napolitain revisite habilement l’épisode de la nativité en l’articulant autour de la figure d’une Marie/Miriam métamorphosée, ancrée dans un contexte hébraïque et émancipée de son mythe, lui conférant ainsi une dimension nouvelle. Loin de l’ancrage stéréotypé de la Mère Immaculée du Verbe, Erri de Luca dépeint avant tout une femme. Son œuvre permet de substituer la personne au rôle, l’identité à la fonction. Il restitue à la maternité ses lettres de noblesses tout en lui conférant son lot de difficultés. Le lecteur est confronté à ce lien à la fois puissant et intrinsèque entre une femme et son devenir mère. C’est aussi un roman sur la liberté. La liberté dans une société où la destinée féminine est cloisonnée dans un monde de valeurs précises dont tout projet d’émancipation se traduit par une excommunication du groupe social, du village. Marie / Myriam choisit sa façon d’être dans le monde. Elle n’est ni pour son image ni pour son rôle : elle est. Au nom de la mère, au-delà même de son enracinement religieux, est une véritable ode à la femme. De la sincérité et de l’authenticité de son texte émergent des mots d’une époustouflante beauté.
C’est un article très intéressant ! On ne parle pas assez de littérature italienne à mon goût ! Erri de Luca est un grand classique à lire absolument !
En complément de ce joli article, je te joins un joli poème du même auteur, « H2O2 » :
« Mia madre mi lavava i capelli con l’acqua ossigenata
ero bruna, mi faceva bionda,
l’unica della strada.
(La guerra è finita signora, adesso siamo a casa nostra.)
AlI’età di sei anni mi portò da un chirurgo,
il mio naso era curvo, divenne all’insù.
(La guerra è finita signora, non siamo in Europa.)
Sull’album di fotografie col blu ritoccava
il colore degli occhi a sua figlia,
la piccola ariana inventata.
(La guerra è finita signora, questa è Tel Aviv.)
Ho perduto i capelli da ragazza
e il mio naso assomiglia a un foruncolo, no,
non ce l’ho con mia madre,
veniva da un posto d’Europa
dove l’acqua ossigenata decideva
tra la vita e la morte. »
On retoruve cette touche cynique et humoritisque qui te caractérisais tant après quelques articles un peu plus « sérieux » (mais tout de même intéressants, sois-en rassuré!). « Au nom de la mère » n’était pas spécialement mon De Luca préféré, j’ai eu l’impression d’un livre sans véritable fond, sûrement une question de sensibilité et de goût… J’espère pouvoir te lire plus régulièrement !
Il existe, dans les œuvres d’Erri de Luca, une grande réflexion sur la Bible et les textes sacrés qui ne sauraient se limiter à son succinct récit « Au nom de la mère ». En complément de votre article, dont j’ai particulièrement aimé le questionnement sur le « devenir femme » au sein d’une société où toute forme d’émancipation du rôle social est impossible, je me permettrais d’ajouter que le romancier italien est un lecteur quotidien de la Bible. C’est cela qui le conduit à une analyse et une réinterprétation si pointue. Ont paru des essais de réflexion sur ses lectures de la Bible dans « Un nuage comme tapis » (Rivages, 1994) et ensuite chez Gallimard « Noyau d’olive » (2004) ou encore « Comme une langue au palais » (2006).
« Ce court récit est l’histoire touchante d’un couple d’humains bouleversé par Dieu. Le narrateur montre le courage de cette jeune femme qui accouche seule, Joseph restant dehors selon la tradition, sans sage-femme, en la seule présence de son ânesse et d’un bœuf dans une petite étable par une froide nuit d’hiver. Il dit l’amour humain de cette mère pour leur enfant et sa peur de l’avenir. »