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Dans un roman placé sous les auspices de la Ville Éternelle, Alain Teulié, en appréhendant les possibilités humaines dans toute leur complexité, signe là un ouvrage qui a déjà les allures d’un classique. Les deux protagonistes, vecteurs fondamentaux de l’intérêt romanesque, à la fois si différents et si complémentaires, se posent, chacun à leur manière, la question de vivre dans un monde qui n’est pas réglé par les valeurs auxquelles ils adhèrent.

Elle s’appelait Stella. Vincent ne le savait pas encore mais sa rencontre, au comptoir d’un café italien, allait changer le cours de son existence. Lui, l’homme abîmé par la vie qui s’est rendu à Rome dans le but d’en finir. Elle, la riche héritière dont les fulgurances intellectuelles et culturelles nous font rapidement oublier la singulière laideur. Dans un roman placé sous l’égide de la Sposa son disprezzata  vivaldienne, Alain Teulié nous livre le récit d’une étonnante passion hors du temps. Le lecteur est alors transporté dans une dimension où Rome et ses habitants ne deviennent qu’un décor. Le monde extérieur se métamorphose peu à peu en huis clos, ne se souciant pas de la dimension oxymorique qu’il prend à son insu. Cette claustration, nous la vivons grâce au narrateur homodiégétique. Nous suivons son évolution, du caractère testamentaire de son arrivée à Rome à son renouveau, sa presque-résurrection, qui s’opère à la fin du récit. À mesure qu’il se laisse guider par Stella dans des péripéties étonnamment calculées, le narrateur voit peu à peu le ciel briller tandis qu’il attendait l’apocalypse. En un sens, il croit aux miracles. Et c’est Stella, sa bonne étoile, qui le sauve.

Mais, en marge d’une ‘‘romance’’ inconventionnelle marquée par la non-réciprocité, Alain Teulié nous propose une véritable réflexion sur l’errance et l’absence de but dans un monde où la réalisation d’objectifs est devenue une religion. Loin de dépeindre le constat brillant d’une existence fantasmée, le narrateur dresse celui de ses échecs. En un sens, nous pourrions presque placer ce roman sous le signe de l’absurde. À l’homme moderne qui s’interroge sur le vide et la mort, le monde est incapable de lui donner une réponse. C’est à la lumière de cette affirmation que nous comprenons mieux les raisons qui ont poussé le narrateur à arrêter d’écrire pendant plus de dix ans. Par définition, un romancier satisfait un certain besoin métaphysique propre à l’homme qui est celui de vouloir contrôler et posséder le monde. Ici, c’est justement quand le narrateur n’a ni espoir ni perspective qu’il abandonne la plume. Et, à mesure qu’il rencontre Stella et que son désir de vivre s’accroît, celui d’écrire s’intensifie aussi. Il achète un stylo, ne s’en sépare pas alors même qu’il a vendu l’intégralité de ses affaires afin de subvenir à ses besoins, et l’utilise finalement pour réécrire. C’est, en un sens, l’écriture qui le maintient en vie.

Finalement, Stella Finzi semble parfaitement s’inscrire dans les termes employés par Milan Kundera dans L’Art du roman : « Le roman n’examine pas la réalité mais l’existence. […] Les romanciers dessinent la carte de l’existence en découvrant telle ou telle possibilité humaine. » Dans un roman placé sous l’égide de la Ville Éternelle, Alain Teulié, en appréhendant les possibilités humaines dans toute leur complexité, de l’envie d’en finir à l’instinct de survie, de l’indifférence et du dégout à la passion, signe là un ouvrage qui a déjà les allures d’un classique. Les deux protagonistes, vecteurs fondamentaux de l’intérêt romanesque, à la fois si différents et si complémentaires, se posent, chacun à leur manière, la question de vivre dans un monde qui n’est pas réglé par les valeurs auxquelles ils adhèrent.