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« Avec J’emprunte la route qui rend fou l’horizon, Hélène Révay entretient ce rapport consubstantiel qui lie poésie et réflexion. Elle pose la question de l’imperceptible, du non-visible que seule la poésie serait en mesure de retranscrire. La production vérsifiée y est utilisée comme outil d’élucidation du réel. Elle seule serait in fine capable de faire comprendre au sujet poétique cette part de lui-même qui le dépasse. »

À quoi bon encore des poètes ? Le titre que Christian Prigent a donné à son essai paru en 1984 est tristement d’actualité. Tandis qu’elle est plébiscitée outre atlantique, la poésie semble peu à peu s’essouffler en France. Notre pays serait-il ce lieu étrange où un poète n’a de valeur que s’il est mort ? Où, après s’en être allé, il passe de la confidentialité la plus totale aux célébrations et au Panthéon ? Si la poésie trouve encore sa place sous ses formes d’expressions populaires (concours de la RATP, comptes Instagram et Twitter…), ses formes éditoriales ne semblent intéresser qu’un faible nombre d’initiés. À une époque où Yves Bonnefoy nous a quittés et où Jean-Michel Maulpoix n’est plus un jeune poète, où la poésie française contemporaine se dirige-t-elle ? Ne sera-t-elle bientôt que le témoin d’un temps révolu ? Rien n’est sûr. Dans notre monde en manque de sens et de repères, le besoin de poésie se fait sentir.

Avec J’emprunte la route qui rend fou l’horizon, Hélène Révay entretient ce rapport consubstantiel qui lie poésie et réflexion. Sa voix poétique, toujours juste sans jamais manquer d’élégance, se repose sur une expérience à la fois douloureuse et sublimée. C’est peut-être en cela que réside toute la complexité de son œuvre, qui gagnerait à être davantage répandue. Production singulière, ce recueil pose la question de l’imperceptible, du non-visible que seule la poésie serait en mesure d’appréhender et de retranscrire. Nous retrouvons en ce sens l’idée de la production vérsifiée comme outil d’élucidation du réel. Elle seule serait in fine capable de faire comprendre au sujet poétique cette part de lui-même qui le dépasse. Une « route qui rend fou l’horizon », telle est la nature de la poésie lorsque la vertigineuse vérité de l’égarement se substitue au vain désir de quête de sens. Les nombreux recours à des vers hétérométriques, comme dans la première pièce, témoignent d’une certaine tension poétique entre le vécu et le vouloir vivre. Et le refus de se conformer à des règles distributionnelles témoigne de cette tension poétique. Nous retrouvons en un sens cette idée dans le titre du recueil lui-même. Rendre fou l’horizon, dont l’éthologie grecque renvoie au délimitant, c’est annihiler toute frontière, toute borne et tendre vers quelque chose d’autre, qui se trouve dans l’ailleurs. Cela semble être confirmé par la forte dimension spirituelle inhérente au recueil : « je cherche le lieu qui effraie le vide » (pièce 1) ; « j’ai rêvé de l’ailleurs / qui m’a laissée seule / en proie à la réalité d’une vie / que je n’ai eue qu’une songe » (pièce 2) ; « nous ne connaissons pas Son existence / Il est inconnaissable dit-on / Mais moi je L’aperçois à travers / les plaines bordées d’arc-en-ciel / à travers les corps boiteux / les esprits infirmes » (pièce 4)… Hélène Révay semble placer son recueil dans une position hybride où la réflexion oscille entre deux lieux, en cherchant le « vrai »[1]Le vrai lieu : nom de la collection des Éditions Unicité dans laquelle le recueil est publié.. Cela rejoint peut-être l’acception du poète développée par Victor Hugo dans sa « Fonction du poète », qui le perçoit comme un intermédiaire entre l’Homme et le Divin, l’ici et l’ailleurs : «  Le poète en des jours impies / Vient préparer des jours meilleurs. / Il est l’homme des utopies, / Les pieds ici, les yeux ailleurs ».

Une œuvre poétique met toujours du temps pour s’imposer. Celle d’Hélène Révay, c’est indéniable, parviendra à le faire. La poésie n’est pas morte ; et les figures de la nouvelle génération savent elles aussi manier les mots avec singularité.

Notes

1 Le vrai lieu : nom de la collection des Éditions Unicité dans laquelle le recueil est publié.