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Twitter prive le cinéma de l’un de ses plus grands génies. Woody Allen risque de ne plus jamais exercer son métier.

Mon premier Woody Allen était Match Point, l’un de ses plus réussis, bien que j’aie préféré par la suite le ton littéraire de Manhattan –celui que le réalisateur aime le moins- la complexité charismatique d’Annie Hall ou encore la démence rafraîchissante de Vicky, Christina, Barcelona. Étant trop jeune à l’époque pour distinguer le dilemme éthique, l’influence de Dosteïevski ou encore la critique du Surhomme nietzschéen dans le film, je me suis contenté d’admirer une réalisation inconventionnelle et, je l’avoue, la plastique de la sublime Scarlett Johansson. L’année dernière je me suis lancé le défi irrationnel de visionner l’intégralité de la filmographie d’Allen. Il y a au total 53 films -54 en prenant en compte A Rainy Day in New York qui ne sortira probablement jamais-, j’en suis à la moitié. C’est un bon début. Mais récemment, comme tout fan du réalisateur, je me suis retrouvé hébété. En effet, les studios Amazon ont adopté une politique de la censure et ont suspendu la sortie du dernier film de Woody Allen en raison d’accusations discréditées qui refont surface après avoir été jugées par des instances du pouvoir judiciaire américain vingt-cinq ans plus tôt. En 1993, le cinéaste américain est accusé d’agression sexuelle par son ex femme Mia Farrow et la fille de celle-ci, Dylan Farrow. Allen fait l’objet de longues investigations réalisées indépendamment par deux agences spécialisées dans la protection des enfants à New York ainsi que dans le Connecticut qui concluent toutes deux qu’il n’y a pas eu d’abus. Cette même année, la Police du Connecticut commande un rapport médical à des spécialistes hospitaliers. Interrogée à neuf reprises, Dylan Farrow soutenait à chaque fois des versions différentes et incohérentes. Toutes les instances s’accordent à dire qu’il s’agit d’une enfant qui a été manipulée par une mère narcissique et dévastée par un divorce difficile.

Dans telles circonstances Woody Allen est judiciairement innocent et le demeure jusqu’à preuve du contraire. Dès lors, est-il légitime de la part des Studios Amazon de suspendre un film au nom de la morale commune et de la bien-pensance ? C’est en ce point que réside toute la complexité de la pensée américaine qui peut cependant être résumée en une phrase : pudique à l’extérieur, pourrie à l’intérieur.

Dans une pareille conjoncture, poussons ainsi les répercutions de la vendetta personnelle d’une ex femme enragée à leur paroxysme et annulons tous les projets en cours de Woody Allen, comme Netflix l’a fait pour le film de Louis CK. Ou bien effaçons toutes les apparitions du cinéaste au cinéma, comme Ridley Scott l’a fait pour Kevin Spacey dans son dernier film Tout l’argent du monde. Ou bien manifestons devant chaque salle de cinéma qui osera diffuser un film du réalisateur, comme ce fut le cas pour Roman Polanski à la Cinémathèque française.

Que la justice expéditive laisse la vraie justice faire son travail. Si Monsieur Allen est coupable, il purgera sa peine. En attendant, il est est innocent et ne mérite pas un tel traitement. Twitter prive le Cinéma de l’un de ses plus grands génies. Woody Allen risque de ne plus jamais exercer son métier. En attendant, je me conforte en me disant qu’il me reste encore 26 inédits à découvrir.

M.S.