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Mardi dernier, je n’ai malheureusement pas pu assister à l’orgie romano-barcelonaise en Ligue des Champions. Je me consolais en me disant qu’après l’éblouissant « Tous des Oiseaux », Mouawad ne pouvait pas me décevoir et que la soirée serait bonne. Malheureusement, avec Notre Innocence la magie n’opère pas et le dramaturge rattrape les faiblesses de son texte à coups d’humour fécalo-porno et de déferlement de haine envers les « connards soixante-huitards ».

C’est l’histoire d’une jeunesse meurtrie par le poids de son héritage, prête à tout pour ne pas reproduire le schéma parental. C’est l’histoire d’un homme, devenu dramaturge, marqué par le suicide de Tristan, un camarade, alors qu’il n’était encore qu’étudiant. C’est l’histoire d’une rencontre, celle entre le dramaturge et des étudiants du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, endeuillée par un nouveau décès, celui de Camille, jeune actrice qui participait à cet atelier. C’est l’histoire de l’irruption de la mort dans un groupe. C’est l’histoire d’un dramaturge qui désire mettre en scène ce qu’il a vécu.

Bien que l’intention soit louable, Wajdi Mouawad déçoit.

19h10, levé de rideau. Apparaît une femme outrageusement sexy récitant un monologue nous informant du contexte et de la démarche de l’auteur. Malheureusement, sa beauté n’est pas à la hauteur de son jeu. Après quelques oublis de texte -tout de même bien rattrapés-, elle est rejointe par dix-sept autres comédiens pour déclamer en chœur un long discours sur leur « génération privée d’espoir ». S’ensuit le passage le plus ennuyant de ma courte existence après le documentaire sur le Paguroidea lors d’un cours de Sciences Naturelles en classe de quatrième. Malgré la prouesse physique de ces dix-huit acteurs, la récitation est psalmodiée, longue et les propos tenus sont dignes d’une adolescente de Première Littéraire qui vient de lire Sur la Route de Kerouac et de voir le Cercle des Poètes Disparus, rêvant de tout plaquer et tapant sur tout ce qu’elle peut. Mouawad rattrape les faiblesses de son texte à coups d’humour fécalo-porno et de déferlement de haine envers les « connards soixante-huitards ». Désolé, mais ça ne passe pas.

Transition nightclub sur un électro saturé -qui a fait regretter à mes tympans la période où la musique se faisait encore avec des instruments- et une danse intéressante et expressive, comme le disait Confucius : « une image vaut mille mots ».

Après une folle nuit à pratiquer la danse alcoolisée, nous retrouvons nos apprentis acteurs autour d’une table, dévastés en apprenant le suicide de leur camarade, Victoire, mère d’une fille de neuf ans. À ce moment précis, je me surprends à avoir de l’espoir. Wajdi Mouawad tente de mettre en scène l’incompréhension d’individus face un tel acte tout en s’intéressant aux divers moyens de traverser un deuil (colère, tristesse, culpabilité…). Malheureusement cet espoir fut de courte durée tant cet examen de conscience sombre dans les stéréotypes -presque manichéens.

Je vous l’accorde, cet article est dur. Mais il l’est pour une raison précise : cette pièce nous déçoit. Notre innocence n’est pas mauvaise, elle n’est juste pas au niveau de ce talentueux dramaturge. Les acteurs sont très bons, il leur manque simplement de l’expérience. J’arrêterai cette corvée -oui, je sais, c’est épuisant de lire plus de 500 mots- en citant Samuel Beckett : « Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. ». Mouawad réécrira des succès, nos apprentis acteurs auront une très belle carrière en sortant du prestigieux Conservatoire National d’Art Dramatique.