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Chers anciens camarades,

Vous êtes bien nombreux à vous insurger en messages privés, n’hésitant pas à me menacer ou m’insulter, de mon absence de soutien à Jean-Luc Mélenchon ce dimanche. Alors qu’il y a encore cinq ans je tarissais d’éloges le fervent républicain qu’il était, je suis aujourd’hui profondément désabusé en observant le chemin sur lequel il s’est engagé. En renonçant à l’idéal républicain et universaliste, Mélenchon a trahi la gauche. Il est à l’origine d’un schisme sans précédent au sein de notre famille politique, dont nous souffrirons encore longtemps. Depuis de nombreuses années, il ne cesse de se vendre à l’idéologie du moment, courbant l’échine et s’agenouillant devant toute doctrine susceptible de lui apporter la moindre voix supplémentaire. Il a souillé tout ce pour quoi il s’était auparavant battu, livrant son cul aux dogmes cléricaux, au complotisme (propos sur Mohamed Merah, sur la prétendue reproduction de « scénarios culturels juifs », entretien volontaire d’une zone grise durant la pandémie…) et à l’obscurantisme, tant idéologique que scientifique. Mélenchon restera dans l’histoire comme celui qui a été incapable d’appeler à faire barrage contre l’extrême-droite en 2017, celui qui a manifesté aux côtés du CCIF, et celui qui, en 2014, dénonçait un complot « impérialiste » orchestré par un « pouvoir putschiste aventurier » en parlant du combat des ukrainiens dans la péninsule de Crimée face à l’invasion russe. Où est donc passé le fervent républicain qui prononçait un bouleversant discours à l’enterrement de Charb en 2015, et qui se battait pour la démocratie ? A-t-il fondamentalement changé et renié ses idéaux originels ou bien a-t-il simplement endossé le rôle que lui offrait cette télé-réalité généralisée qu’est devenue la politique française ? Quoi qu’il en soit, ma décision est prise : ce ne sera pas Mélenchon.

Mais puisque ses sbires, autoproclamés insoumis mais soumis aux diktats de leur souverain, me tiendront rigueur, à juste titre, de faire le procès d’une personne et non d’un programme, aventurons sur le terrain des idées, ou plutôt d’une en particulier : la question énergétique. Au lendemain de la publication du dernier rapport du GIEC, où nous apprenons que l’humanité dispose de trois ans pour réduire ses émissions de CO2, Jean-Luc Mélenchon propose de sortir du nucléaire. S’il est indéniable qu’il nous faudra nous en émanciper à terme, il est absolument chimérique de penser pouvoir le faire alors même qu’aucune alternative viable n’existe pour le moment. Est-il nécessaire de rappeler que Jean-Marie Brom, responsable du programme énergétique de Mélenchon, ne sait pas lui-même comment se passer du nucléaire ? Dans son rapport de 2018, le GIEC disait d’ailleurs explicitement : « L’énergie nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut contribuer à la lutte contre le changement climatique. » Se passer du nucléaire sans alternative, c’est se condamner à utiliser davantage d’énergies fossiles — et donc à accroître considérablement nos émissions, à l’instar de nos voisins allemands. Comment voter pour un candidat ne sachant pas comment se passer de la seule énergie capable, sur le court terme, de nous sauver ? Bien évidemment, si le nucléaire était le seul point de discorde, il ne serait en aucun cas un élément rédhibitoire au vote Mélenchon : socialistes et écologistes ont gouverné ensemble à de multiples reprises tout en ayant des avis radicalement opposés sur la question. Mais tant d’autres aspects s’érigent comme des obstacles idéologiques insurmontables : quitter l’Union européenne en cas d’échec de la renégociation des traités, organiser un référendum sur le maintien ou non de la France dans l’Union européenne refondée, sortir du FMI et de la Banque mondiale, fixer le droit de vote à seize ans…

Je suis lassé d’être pointé du doigt par les militants insoumis qui, à longueur de journées et lourdeur de tweets, ne cessent de nous rabâcher l’argument du vote utile. Le vote utile, le front républicain, le barrage contre l’extrême-droite, c’est une affaire de second tour. Et je n’ai aucune honte à avouer que je ferai barrage aux nostalgiques d’une France fantasmée et nauséabonde. Qu’il faille voter Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse, tous auront ma voix face à l’extrême-droite. Lorsque Mélenchon appelait sans réserve à voter contre Le Pen en 2002, il s’érigeait de la plus noble des façons comme un référent républicain. Qu’il ne l’ait pas fait en 2017 a été une très grande désillusion. Le premier tour, quant à lui, ne saurait s’inscrire ailleurs que dans la logique de conviction. Et si l’Union Populaire ne parvient pas à accéder au deuxième tour, ce ne sera en aucun cas la faute des autres forces de gauche, pas plus que l’absence de Lionel Jospin en 2002 fut celle de Christiane Taubira, de Jean-Pierre Chevènement ou de Robert Hue.