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Si la coutume est aujourd’hui de se taper sur la gueule à coups de tweets pamphlétaires — sortes de concours phalliques 2.0 aussi médiocres que puérils —, voire même de participer à des lancers de flacons de parfums pour les plus radicaux — il conviendra ici de saluer nos camarades Kaaris et Booba —, les querelles idéologico-artistiques ne sont pas un phénomène contemporain. Et nombreux sont les écrivains qui n’ont pas attendu l’émergence des réseaux sociaux pour exprimer leur mépris à l’égard de leurs confrères. En voici une sélection non-exhaustive qui a bien plus de gueule que votre récente embrouille avec votre oncle raciste lors du dernier repas de Noël.

1. Voltaire sur Rousseau

La querelle qui a opposé les deux penseurs résonne encore aujourd’hui dans le monde intellectuel. Leur opposition est telle qu’ils font figure de paradigme. Voltaire, l’écrivain caustique et grand orateur, symbole du raffinement aristocratique de l’Ancien Régime et Jean-Jacques Rousseau, génie torturé par l’intervalle entre ses idéaux moraux et la difficulté de vivre dans la société. Le premier s’exprimait en ces termes à propos du second :

« Jean-Jacques ressemble à un philosophe comme un singe ressemble à l’homme… On est revenu de ses sophismes et sa personne est en horreur à tous les honnêtes gens. »

2. Gustave Flaubert sur Honoré de Balzac

Nul besoin de quelconque contexte pour apprécier cette phrase assassine retrouvée dans une correspondance de l’auteur de Madame Bovary :

« Quel homme eût été Balzac, s’il eût su écrire! Mais il ne lui a manqué que cela.»

3. Charles Baudelaire sur Victor Hugo

Notre névrosé préféré n’aurait su aimer entièrement un écrivain admis et reconnu de tous. Il écrit, à propos de l’auteur des Misérables :

« Je sais que j’ai autant de génie que Victor Hugo, mais je sais surtout que je ne serai jamais aussi bête qu’il l’est ».

4. Jules Vallès sur Charles Baudelaire

L’auteur de L’Enfant était animé d’une profonde haine envers Baudelaire et disait à son égard :

« Il avait en lui du prêtre, de la vieille femme et du cabotin. C’était surtout un cabotin. »

Entendons par « cabotin » un artiste médiocre qui estime son talent au-dessus de sa valeur — somme toute le mot désignant les Quentin Tarantino de l’époque.

5. Léon Bloy sur Guy de Maupassant

Comme l’explique Jérôme Garcin dans un article publié en janvier 2009 dans l’Obs, « la vulgarité, avec un goût prononcé pour la métaphore animalière, est l’arme préférée de tous ces gens de lettres qui croient être des parangons d’élégance ». C’est ainsi qu’il explique la phrase de Léon Bloy à l’encontre de Guy de Maupassant :

« Sa parfaite stupidité de jouisseur est manifestée par des yeux de chien qui pisse. »

6. Ernest Hemingway sur André Malraux

Le prix Nobel de littérature, qui avait pourtant côtoyé son confrère français durant la guerre civile espagnole, n’a pas été tendre avec lui selon des propos rapportés par José Luis de Vilallonga dans son ouvrage Ma vie est une fête: Les cahiers noirs. Hemingway lui aurait alors déclaré après un cinquième dry-martini :

« Malraux, c’est un mythe qui sera bientôt bouffé aux mites ».

7. Florilège célinien

La plume acerbe du brillant écrivain et de l’ordure humaine n’a épargné personne.

Dans une lettre adressée à Milton Hindus, il dit à propos de Proust :

« Proust explique beaucoup pour mon goût — trois cent pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave c’est trop ».

Chez Sartre, philosophe existentialiste adulé au XXè siècle, Céline voit un :

« Un agité du bocal » et « un polichinelle à parchemins tout exultant de se voir d’un seul coup, par miracle de l’Epuration, si grand homme! »

À propos de Françoise Sagan, il se contente d’une simple phrase :

« Mlle Sagan ne peut pas perdre son temps à conduire des voitures et bien tenir un stylo. »

Sur Blaise Cendrars, il dit :

« Essaye depuis trente ans que je le connais de faire un roman. Il n’y arrivera jamais. »

Si vous cherchez une réponse à l’énigme littéraire qu’est Louis-Ferdinand Céline, vous en trouverez probablement une ébauche dans le Dernier inventaire avant liquidation, de Frédéric Beigbeder : « Comment le docteur Destouches, médecin de 38 ans officiant à Clichy, qui a pris pour pseudonyme le prénom de sa grand-mère, a-t-il pu engendrer pareille «symphonie littéraire émotive» avant d’écrire, 5 ans plus tard, Bagatelles pour un massacre (sinistre pamphlet dans lequel il aurait mieux fait de rajouter des points de suspension) ? En cherchant bien, on trouve malheureusement une cohérence : Bardamu, l’anarchiste, cherchait un coupable et Céline, l’antisémite, trouvera un bouc émissaire. Il s’est bien sûr ignoblement fourvoyé sur la cause de la misère humaine. Pourtant le constat du Voyage au bout de la nuit reste d’actualité : nous essayons de survivre sur une petite planète sans Dieu qui fabrique de la pauvreté, des guerres et des usines. »

8. Camus contre Sartre et droit de réponse

Ils sont amis, se fréquentent au Flore et boivent ensemble sans pour autant épouser les idées de l’autre. Leur idylle amicale est mise une première fois à l’épreuve lorsqu’il est question de l’attitude à adopter vis-à-vis du régime bolchevik. Camus est persuadé qu’il faut condamner les goulags à l’instar des camps nazis tandis que Sartre, désireux de ne pas nuire à la gauche, prend le parti de l’Union soviétique.

Mais c’est une critique de L’homme révolté parue dans Les temps modernes —revue dirigée par Jean-Paul Sartre— qui met finalement un terme à la relation entre les deux hommes. Elle pousse Camus à écrire à son futur ex-ami. Dans une lettre de vingt pages, il déclare notamment :

« Je suis las d’être critiqué par des gens qui n’ont jamais mis que leur fauteuil dans le sens de l’Histoire ».

Sartre lui adresse une réponse assassine dans laquelle il dit, entre autres :

« D’où vient-il, Camus, qu’on ne puisse critiquer un de vos livres sans ôter ses espoirs à l’humanité ? […] Et si votre livre témoignait simplement de votre incompétence philosophique ? […] Et si vos pensées étaient vagues et banales ? ».

L’intégralité de l’échange épistolaire est publiée dans Les temps modernes. Les lecteurs assistent à un véritable combat de boxe, lequel est remporté, à court terme, par Sartre. D’aucuns soupçonnent Camus d’un rapprochement avec la droite. Aujourd’hui, nous réalisons le dogmatisme de Sartre ainsi que son aveuglement vis-à-vis du stalinisme.

9. François Chalais frappe Jean-Edern Hallier lors d’une conférence

Lors d’une conférence à l’occasion des journées mondiale du livre à Nice en 1983, Jean-Edern Hallier accuse François Chalais d’avoir collaboré à Je suis partout et d’avoir dénoncé des juifs durant la guerre. Ce dernier lui adresse alors plusieurs coups de poing.

10. Frédéric Beigbeder et Nicolas Bedos

Après une amitié médiatisée et de longues heures de beuveries communes, c’est une critique d’Amour et turbulences — film dans lequel Bedos tenait le rôle principal — dans l’émission Le Cercle — alors animée par Frédéric Beigbeder — qui marque le début des hostilités. Le dramaturge improvisé acteur n’a pas aimé que l’écrivain improvisé animateur vienne le féliciter en privé pour le descendre en public. S’en sont suivies de nombreuses piques dont nous pouvons retenir une chronique de Frédéric Beigbeder publiée dans les colonnes du Figaro Magazine :

« Nicolas Bedos voulait être plus célèbre que son père. Pour ce faire, il a commencé par être pistonné dans une cellule d’auteurs chez Canal Plus mais ça n’a pas marché, alors il a essayé d’écrire du théâtre mais ça n’a pas marché, du coup il a tenté d’être scénariste mais ça n’a pas marché, c’est pourquoi il est devenu chroniqueur à la télé, et là ça a marché. Heureusement qu’il y a la télévision pour aider les artistes incapables d’art. Une fois cathodiquement connu, Nicolas Bedos a voulu faire du cinéma mais ça n’a pas marché, et donc il est retourné à la chronique télé, où il peut se venger de ses échecs en tapant sur ceux qui réussissent. »

Ce à quoi Nicolas Bedos a rétorqué, sur le plateau de Thierry Ardisson :

« Parcours d’un collabo à Saint-Germain-des-Près… Le mec pendant la guerre il aurait dénoncé Anne Franck mais après l’avoir niquée. »

Bonus : la guerre commerciale Levy – Musso

Si le nominatif « écrivain » reste douteux lorsqu’il est employé pour qualifier ces deux mastodontes commerciaux, ils n’en restent pas moins les plus gros vendeurs de livres en France. Et une guerre froide s’est rapidement déclarée entre les deux.

Marc Lévy a dénoncé « une espèce d’obsession de son éditeur [celui de Musso] de s’inscrire dans la copie de titres [ceux de Lévy], que je trouve extrêmement vaine, puérile »; ce à quoi Guillaume Musso a rétorqué que la « génération Musso est au confluent de deux cultures: la classique et la trentenaire, biberonnée aux séries télé, aux jeux vidéo, avec des narrations plus dynamiques »  comprenons qu’il considère son adversaire commercial comme has been.

Pour une anthologie plus sérieuse et complète, se référer à L’art de l’insulte : une anthologie littéraire, d’Elsa Delachair, publié chez Inculte éditions.